digitalarti, 23/12/2012

LA MUTATION DES TERRES ARBITRAIRES

Créé in situ, au cœur du quartier des Pyramides d’Évry et dans le cadre d’une résidence au Théâtre de l’Agora, l’installation audiovisuelle Terres Arbitraires de Nicolas Clauss continue de muter, au gré de l’enrichissement des contenus et du parcours géographique de la pièce.

Scénographie synchronisée

Dans la plupart de ses pièces, l’artiste audiovisuel Nicolas Clauss place la participation du spectateur au cœur du dispositif, induisant des jeux de déclenchements/manipulations ludiques, comme par exemple dans ses fameux Tableaux Interactifs, toujours exploitables en ligne. Avec son installation Terres Arbitraires, ce modus operandi va encore plus loin dans la réflexion sur l’autre, en situant cette logique participative à l’échelle des contenus, en mettant en scène dans une installation à géométrie variable un public-cible dont l’image est justement souvent controversé, le jeune de banlieue.

Scénographie synchronisée d’écrans où défilent des portraits de garçons, à la fois souriants et muets, jouant des stéréotypes comme pour mieux les contourner; énumération stylisée, bercée dans un flux sonore de babillages médiatiques connotés, du listing des fameux 1200 quartiers des 751 Zones Urbaines Sensibles inventoriés par l’État français (les Pyramides, les Épinettes, les Trois Ponts, le Val-Fourré, l’Estaque, etc.); Terres Arbitraires est une œuvre réalisée dans un contexte particulier, à l’issu d’un travail de terrain menés au départ avec des jeunes d’un quartier d’Evry en Essonne et sous l’égide d’un travail de résidence mené au Théâtre de l’Agora d’Evry – Scène nationale.

Au départ du projet, il y avait l'envie de passer du temps, beaucoup de temps, dans un quartier populaire, dans une zone stigmatisée et dite sensible afin d'inspirer une œuvre sensible, revendique Nicolas Clauss. Il y a eu une opportunité de faire une résidence au Théâtre de l'Agora qui se trouve à quelques pas du fameux quartier des Pyramides. Six mois de résidence plus tard je créais une première forme d'installation qui mettait en situation une soixantaine de portraits du quartier avec la complicité de deux jeunes habitants qui ont suivi tout le projet.

Portraits complices

C’est donc en quelque sorte une création en double résidence que Nicolas Clauss a menée, en immersion au cœur d’une cité tout en bénéficiant du soutien logistique du Théâtre de l’Agora. Au départ j'ai expliqué à ces deux jeunes qui m'ont suivi, que je ne savais pas du tout où j'allais et qu'ils seraient en quelque sorte, mes complices, voire davantage, mes assistants pour cette longue déambulation. Les idées de portraits sont venues en route. Le Théâtre m'a donné un cadre, du matériel, de l'écoute et surtout du temps pour mener à bien le projet.

Le travail, difficile du fait des rapports de confiance à établir avec les jeunes du quartier a conduit à la création d’une œuvre audiovisuelle forte, composée d’une trentaine d’écrans dont quatre projections, et d’un travail impactant en termes de diffusion sonore en octophonie. Mais sa principale caractéristique est d’être modulable, du fait qu’on peut toujours y rajouter de la matière technologique – moniteurs, environnements sonores – et surtout du contenu.

Après Évry, je me suis dit que l'œuvre serait plus forte si elle était plus massive et surtout si elle ne se limitait plus à des portraits d'un seul quartier mais à des images tournées dans les quatre coins du pays, poursuit Nicolas Clauss. Il ne s'agit pas d'un travail sur un territoire particulier mais sur un certain type de territoire et plus précisément sur les représentations sociales et médiatiques  générées par ces territoires. Du coup je suis allé au Val Fourré à Mantes-la-Jolie, ville où j'habitais, pour faire de nouveau portraits et rencontrer de nouvelles personnes de manière informelle, un contact en amenant un autre, ou parfois simplement en démarchant les gens dans la rue.

Démarcher, Nicolas Clauss a dû aussi le faire pour trouver les financements et les moyens nécessaires à l’extension de sa pièce. Pour mener à bien mon projet, j'ai dû trouver des partenaires et des financements. J'ai proposé à la Condition Publique de Roubaix d'être un de ces partenaires car je voulais faire des portraits dans cette ville comme je voulais en faire à l'opposé géographique dans des quartiers nord de Marseille. J'ai trouvé là-bas avec le Zinc à la friche Belle de Mai, un autre partenaire pour Marseille et enfin il y a eu la Maison Pop à Montreuil qui a mis à ma disposition une quinzaine de machine et un espace pendant plusieurs semaines où j'ai travaillé avec Christian Delecluse qui à programmer le dispositif en Max Msp. Dans les faits, la totalité du projet — et il fallait acheter tout le matériel qui appartient désormais à l'œuvre — a été financé par un prêt à la banque (j'en suis donc le principal producteur), et donc aussi par la Condition Publique à Roubaix, le DICREAM, ARCADI, le Zinc et la Drac PACA. Et initialement par le Théâtre de l'Agora bien sûr.

Une version finale provisoire

Avant de tourner dans les différents lieux partenaires du projet, c’est à Mantes-la-Jolie, au Centre culturel du Chaplin, que l’œuvre a été présentée pour la première fois dans sa version provisoire finale, l’auteur réfléchissant encore et toujours à incorporer de nouveaux portraits aux 300 existants actuels (avec des images de l'Est — Strasbourg ? — et de l'Ouest — Nantes ? —  pour balayer la carte). Sa forme elle-même est donc sujette à mutation, tout comme son parcours qui continue sa logique sinueuse en se retrouvant désormais sur les planches.

La pièce sera installée à Arles dans le festival Artcourtvideo, au Palais de l'Archevêché, précise Nicolas Clauss. Puis elle sera à Clermont-Ferrand pour Vidéoformes. Elle a aussi été exposée pendant un mois à la Cartoucherie de Vincennes pour se retrouver au cœur d'une pièce de théâtre originale d'Ahmed Madani. Elle y a rencontré un vif succès.

Laurent Catala
Infos: www.flyingpuppet.com