Endless Portraits, portraits vidéographiques génératifs
Poursuivant la recherche menée dans les vidéographies aléatoires, Endless Portraits est une série de portraits en mouvement filmés à travers le monde (Séoul, Sicile, Bangalore, New York ...). Présentés sur de grands moniteurs verticaux, ces portraits d'un nouveau genre explorent la dilatation du temps vidéographique. Ils n'ont ni début ni fin et rejouent à l'infini, selon une écriture générative, les quelques secondes de film dont ils sont constitués.
Texte de Jean-Paul Manganaro, octobre 2016
Endless portraits. Portraits sans fin. Mais aussi sans commencement, faudrait-il dire, pour mieux saisir que l’expression « sans fin » renvoie à l’intemporalité, à une création sur l’intemporel située dans des espaces.
Nicolas Clauss inscrit sa démarche dans le plus pur classicisme : si le grand modèle du genre demeure, contre vents et marées, la Joconde, on retrouve ici la fixité légendaire d’un regard troublant. On cherche toujours un point d’échappement face au regard figé qui ne nous lâche pas et qui se constitue en immuabilité, tantôt légère, tantôt grave ; mais force nous est de déclarer notre impuissance face à ce regard qui reste dominateur. Qu’est-ce qui change la donne dans ces « portraits sans fin » ? C’est une vibration intérieure du sujet que la caméra-vidéo essaie de capter et qui en fait une histoire individuelle, avec l’entassement de ses traces, de ses dérives : ainsi Wayne à New York, Eva en Sicile, Model ou Mother and Child à Beijing, portent les marques d’une histoire secrète qui ne sera pas révélée au-delà de ce que l’on peut y voir et de ce qu’il est donné à l’imaginaire de chacun de formuler, d’exprimer, de recréer. C’est cela que Nicolas Clauss appelle l’« aléatoire » du personnage et de la proposition ; c’est l’hésitation, ou plutôt le frémissement que l’image dégage dans la constance de son tremblement. Pourtant ce n’est pas vraiment elle qui frémit, mais le paysage qui tout autour lui fait décor. C’est inscrire sa « petite » histoire dans l’arrière-plan qui bouge dans le même « infini » qu’est l’ordinaire du quotidien en souffrance de devenir Histoire, sans que cela puisse aboutir. Il n’y a plus, du coup, que le murmure de l’événementiel qui accompagne le balancement du « reste » et essaie, avec douceur et tendresse, d’accompagner l’image dans un devenir qui ne lui appartient pas en propre : un devenir sculpture se trace, un tutto-tondo de sculpture, comme si la vidéo pouvait l’arracher à son ancien statut de peinture et l’amener vers une nature nouvelle à laquelle elle n’aurait jamais songé. C’est dans cette nouvelle épaisseur qu’il faut encadrer le travail délicat et minutieux que nous propose Nicolas Clauss.
Extrait du texte de Julie Cailler, Point contemporain
« Le portrait se déploie à l’écran, il rejoue sans cesse une immuabilité qui n’est qu’illusion. Quelque chose varie indiciblement, quasi imperceptiblement et se meut en un infime ondoiement. Toujours autre mais ressemblant, ce portrait laisse nos sens douter de ce qu’ils perçoivent. Quelque chose tangue à l’image, cette mèche de cheveux, les feuilles de cet arbre, un passant dans le paysage… À l’origine, trois secondes à peine. Trois secondes de matière filmée mais modelée par la matrice d’un ordinateur livrent une œuvre générative et sans fin que l’artiste nomme vidéographie aléatoire et dans laquelle les images s’écrivent, se réécrivent dans une chorégraphie libre et indolente. Le temps à l’œuvre s’étire, se suspend, se retire, se distend, vit, reprend son souffle, respire en une douce arythmie ; pourtant il n’est ni continu ni linéaire, il est multiple et les substances de sa pluralité s’interpénètrent.
Texte de Matthias Youchenko, extrait de « L’image mobile de l’éternité »
Dans les portraits sans fin de Nicolas Clauss, nous retrouvons cette absence de fin qui fait tout à la fois le visage, l’œuvre et le temps. Le visage que l’on voit est pris dans la boucle ouverte du programme, c’est-à-dire délivré de sa temporalité naturelle. Littéralement, il flotte sous nos yeux, ne pouvant plus s’amarrer au temps-espace qui était le sien. C’est toute une herméneutique du visage qui peut alors voir le jour. Le visage est un texte qui se modèle et se rectifie sans fin. Le portrait prend alors la douceur étrange d’une présence qui n’est plus de ce monde, un visage-durée, les signes suspendus de toute signification.
Expositions :
2022
Théâtre du Bois de l'Aune, Aix-en-Provence
Mucem, Paris
2021
Fort Saint-André, Centre des monuments nationaux
2017
MAMBO, Bogota
Museo de Antioquia, Medellin
Le CentQuatre, Paris
2016
Millenium Museum, Beijing
Les Quinconces, Le Mans
2015
Photophore, Tremblay-en-France
Art Bengaluru, Bangalore, India
Institut for Provocation, Beijing
Changjiang Biennale, Chongqing
2014
Festival Actoral, Marseille